Les personnes âgées prennent souvent trop de médicaments. Le risque d’accident est réel. Comment limiter les prescriptions ?
Passé l’âge de 75 ans, les Français prennent en moyenne cinq à six médicaments différents chaque jour. Rien d’étonnant à cela. Plus on vieillit, plus on est exposé à la maladie.
Trop de tension, un taux de cholestérol élevé, du mal à s’endormir… Pour soigner ces différents symptômes, une personne âgée est amenée à consulter un large éventail de professionnels : du généraliste au cardiologue, en passant par l’ophtalmologiste ou IIO.R.L. Et, la plupart du temps, chaque médecin consulté ajoute un nouveau médicament à la liste.
D’une certaine façon, le patient contribue par son comportement à consommer trop de médicaments. Les seniors ne sont pas toujours capables d’expliquer au médecin les médicaments qu’ils prennent déjà, au risque de se voir prescrire plusieurs produits de la même famille, sous des noms différents.
« Il n’est pas rare qu’un médecin O.R.L. donne un traitement qui agit sur les vaisseaux sanguins pour soigner des bourdonnements d’oreille et qu’un ophtalmologiste prescrive un médicament équivalent pour traiter des troubles rétiniens, remarque le Dr René Campan, généraliste à Paris, membre d’un réseau de gérontologie. Dans ce cas, je propose au patient d’arrêter, un des deux, mais il n’est pas toujours facile de le convaincre. »
Plus on vieillit, plus on prend de médicaments. II est parfois difficile de s’y retrouver. Soyez vigilant et n’hésitez pas à demander plus d’explication à votre médecin.
En effet, la plupart des personnes âgées n’aiment pas que l’on change leurs habitudes. Beaucoup sont attachées aux pilules qu’elles prennent quotidiennement et leur font confiance. « Les médecins n’osent pas arrêter certains traitements au long cours, dont l’efficacité est parfois discutable. D’ailleurs, la plupart des patients ne le souhaitent pas », observe le Pr François Comble, gériatre.
Le risque d’erreur est élevé
Alléger les ordonnances n’est pas une tâche facile. Or, dans certaines situations, les traitements peuvent faire plus de mal que de bien, surtout lorsqu’ils sont administrés à des personnes fragiles. Plus le nombre de médicaments est important, plus le risque d’interactions est élevé, et plus on multiplie les occasions de se tromper dans les prises. De fait, les prescriptions sont souvent très compliquées.
Louis, 80 ans, doit avaler seize comprimés par jour, certains devant être coupés en deux ou en quatre ! Sans la présence attentive de sa femme, ce vieux monsieur, qui souffre de la maladie d’Alzheimer, risquerait de commettre de graves erreurs.
Le risque est réel. Des études ont montré que plus de 12 % des hospitalisations des plus de 70 ans sont en fait des « accidents iatrogéniques », c’est-à-dire liés à la prise de médicaments.
La plupart du temps, la victime s’est trompée dans les doses ou a associé deux produits incompatibles. Elle est transportée aux urgences à la suite d’un malaise, d’une mauvaise chute, ou se trouve dans un état de confusion mentale inquiétant, ne sachant plus qui elle est ni où elle est.
Les médicaments le plus souvent incriminés sont des produits qui font partie de la vie quotidienne des personnes âgées. Selon une étude menée dans la région Poitou-Charentes en 1999, les traitements prescrits contre les maladies cardiovasculaires sont responsables de plus de 50 % des accidents
« Ma mère, qui a 85 ans, a souffert pendant plusieurs mois d’importantes pertes d’équilibre dues à un médicament contre la tension. Nous avons insisté pour qu’elle change de traitement car cela devenait dangereux », témoigne une jeune femme.
L’amer souvenir de la canicule
En vieillissant, il faut être d’autant plus prudent que l’organisme assimile moins bien les médicaments. Au fil des ans, le rein devient moins efficace dans sa fonction d’épuration. Mal éliminées, les molécules s’accumulent dans le sang, d’où un risque accru d’effets secondaires. C’est la raison pour laquelle les doses prescrites aux personnes âgées sont souvent inférieures à celles des adultes dans la force de l’âge. En principe, le médecin s’appuie sur le dosage de la créatinine (réalisé par une simple prise de sang) pour estimer l’état des reins de son patient et ajuste la posologie des médicaments (à élimination rénale) en fonction des résultats.
Les prescriptions doivent tenir compte d’autres facteurs, par exemple les fortes chaleurs. Pendant la canicule de l’été dernier, les patients qui prenaient des diurétiques pour abaisser leur tension artérielle se sont déshydratés très vite.
Certains n’y ont pas survécu. Les médecins habitués à soigner les seniors connaissent ces risques et diminuent préventivement les doses de médicaments.
Ils maintiennent d’ailleurs cette vigilance pendant l’hiver car une fièvre élevée (par exemple à cause d’une grippe) peut produire les mêmes effets que la chaleur.
Que les médecins s’entendent entre eux !
Pour prévenir les accidents médicamenteux, les médecins peuvent agir de deux manières : limiter les ordonnances aux produits vraiment indispensables et coordonner les prescriptions entre les différents consultants. « Il faut peser les bénéfices et les risques à chaque fois que l’on prescrit un médicament à une personne âgée.
Par exemple, vouloir à tout prix équilibrer le taux de cholestérol d’un octogénaire qui souffre d’autres pathologies plus graves n’a aucun intérêt.
On prend le risque d’effets secondaires », dit le Dr Jean Petit, gérontologue à l’hôpital Vaugirard de Paris.
En ce qui concerne l’harmonisation des traitements, les autorités sanitaires recherchent des solutions. Cet été, l’Assurance-maladie a signé un « accord de bon usage des soins » avec les représentants des médecins généralistes, qui devrait entrer en vigueur courant 2016.
L’idée serait qu’une fois par an, le médecin de famille analyse l’ensemble des médicaments pris par son patient âgé et, en cas de besoin, supprime les produits qui font doublon. Mais cela suppose que le généraliste ait accès aux informations et entretienne de bonnes relations avec ses confrères spécialistes.
Le scénario est déjà en vigueur dans les réseaux de gérontologie qui se mettent progressivement en place. Les patients soignés à domicile disposent d’un dossier médical de liaison dans lequel chaque médecin note ses prescriptions, les infirmières inscrivent leurs observations, les événements importants, etc. De cette façon, tous les membres du réseau sont au courant de ce que font les autres.
« Ce système nous a permis de régler bien des problèmes. D’ailleurs, nous n’avons eu aucun décès à déplorer pendant la canicule », témoigne le Dr Philippe Bopin, qui coordonne un réseau mis en place par la Mutualité sociale agricole dans le Maine- et-Loire. Malheureusement, ce type d’organisation est encore expérimental.
Les pharmaciens de quartier, proches de leur clientèle âgée, ont aussi un rôle à jouer. La plupart prennent le temps de vérifier la cohérence des ordonnances, ils réexpliquent la prescription et inscrivent la posologie sur la boîte de médicaments. En fait, entre les professionnels et la famille, c’est tout un mouvement de solidarité qui doit se constituer autour de nos aînés. Un bon moyen d’éviter les accidents.
QUELQUES CONSEILS UTILES
- Pensez à montrer toutes vos ordonnances lorsque vous consultez un médecin pour la première fois. De cette façon, il aura une vision d’ensemble des traitements que vous suivez.
- Demandez à votre médecin qu’il rédige une ordonnance lisible et, éventuellement, qu’il dessine un tableau indiquant le nom du produit, la posologie, le jour et l’heure de prise.
- Munissez-vous d’un pilulier. Il permet de classer les médicaments pour chaque jour de la semaine, matin, midi et soir. On en trouve différents modèles en pharmacie.
Vous avez oublié de prendre un médicament ? N’en prenez pas un deuxième. Il vaut mieux sauter une prise que d’avaler deux fois le même comprimé.
LES MÉDICAMENTS À RISQUE
- Les traitements contre l’hypertension artérielle peuvent provoquer une chute de tension, surtout Sils sont pris le soir ou après un repas. En passant de la position couchée à debout, le patient risque d’avoir des étourdissements et de chuter. Avant de se lever, il est conseillé de ne pas se redresser brutalement et de faire quelques flexions des pieds pour rétablir la circulation sanguine.
- Les médicaments qui agissent sur le cerveau (antidépresseurs, neuroleptiques, somnifères ou anxiolytiques) augmentent le risque de confusion mentale. Déboussolée, la personne âgée peut tomber ou commettre des erreurs graves. Les anxiolytiques et certains somnifères entraînent parfois des troubles de la mémoire. (médicaments contre l’arthrite ou l’arthrose).
- Les anti-inflammatoires ne font pas bon ménage avec les anticoagulants (prescrits à la suite d’une thrombose, d’une embolie pulmonaire, de la pose d’une valve cardiaque…), car leur association augmente sérieusement le risque d’hémorragie. Associés aux médicaments hypoglycémiants (contre le diabète), ils peuvent être à l’origine d’un malaise. Lorsqu’ils sont pris en même temps qu’un traitement contre l’hypertension (diurétiques ou inhibiteurs de l’enzyme de conversion), ils augmentent le risque d’insuffisance rénale aiguë, surtout si le patient est déshydraté.
- L’aspirine, prise souvent en automédication sans avis médical, peut provoquer une hémorragie, en particulier digestive.